Dans une décision qui fait des vagues dans le paysage de la santé québécoise, Santé Québec a suspendu deux projets majeurs d’informatique, laissant plusieurs se demander ce que cela signifie pour la transformation numérique de la santé dans la province.
La nouvelle agence de santé a annoncé hier qu’elle met en pause ces ambitieuses initiatives informatiques afin de réévaluer ses priorités et l’allocation des ressources. En tant que chroniqueuse qui suit l’évolution des soins de santé montréalais depuis plus d’une décennie, j’ai vu plusieurs visions audacieuses s’échouer contre les écueils des réalités budgétaires.
« Nous devons prendre du recul et nous assurer que nous construisons des systèmes qui servent vraiment les Québécois », a expliqué Dre Sophie Tanguay, directrice de la transformation numérique de Santé Québec, lors du point de presse d’hier. « Il ne s’agit pas d’abandonner notre avenir numérique, mais de s’assurer d’y arriver de façon responsable. »
Les projets suspendus comprennent un système complet de gestion des données des patients et une plateforme intégrée de prise de rendez-vous qui devait simplifier l’accès aux spécialistes. Ces deux initiatives étaient des piliers de la stratégie de modernisation du système de santé provincial.
Pour les Montréalais, cette pause crée une frustration familière. La semaine dernière, j’ai parlé avec Martine Bouchard, résidente du Plateau qui navigue dans le système de santé québécois pour sa mère âgée. « On attend toujours les améliorations promises », m’a-t-elle confié avec un soupir.
Cette décision survient après des audits internes qui ont révélé des dépassements de coûts préoccupants. Selon des documents obtenus par LCN.today, les projets avaient déjà dépassé les budgets initiaux de près de 40 % sans atteindre les étapes clés. Le Ministère de la Santé et des Services sociaux a confirmé ces conclusions dans leur bilan trimestriel.
Le secteur technologique montréalais ressent également l’impact. « Ces projets soutenaient des dizaines d’emplois locaux dans le secteur tech », explique Jean-Philippe Demers, président de l’Association MontrealTech. « Bien que nous comprenions la nécessité d’une responsabilité fiscale, cette approche en dents de scie complique le développement d’une expertise technique durable dans notre secteur de la santé. »
Ce n’est pas la première embûche du Québec avec les projets informatiques en santé. En 2019, une initiative similaire avait été réduite après que les coûts aient presque doublé par rapport aux estimations initiales. Je me souviens avoir couvert ces conférences de presse – les mêmes promesses d’efficacité et de modernisation qui résonnent maintenant en creux dans cette dernière annonce.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a abordé les préoccupations concernant cette suspension lors de la période de questions à l’Assemblée nationale hier. « Nous restons engagés à moderniser notre système de santé, mais pas à n’importe quel prix », a-t-il déclaré. « Les Québécois méritent à la fois l’innovation et une gestion responsable des fonds publics. »
Ce qui me frappe dans cette situation, c’est comment elle reflète notre approche typiquement québécoise des grands projets – une vision ambitieuse couplée à une exécution compliquée. En traversant le CHUM le mois dernier, je n’ai pu m’empêcher de remarquer le contraste entre l’établissement ultramoderne et les systèmes parfois désuets qui y fonctionnent.
Les groupes de défense des patients ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’impact sur les soins. La Coalition des droits des patients du Québec a appelé à la transparence sur la façon dont ces suspensions affecteront les temps d’attente et l’accès aux soins, particulièrement pour les populations vulnérables.
« Chaque retard dans la modernisation de nos systèmes signifie que plus de gens passent entre les mailles du filet », affirme Isabelle Leblanc, médecin de famille et présidente de Médecins Québécois pour le Régime Public. « Ce ne sont pas que des projets informatiques – ce sont des outils essentiels pour offrir de meilleurs soins. »
Pour l’instant, Santé Québec affirme qu’elle continuera avec des améliorations numériques à plus petite échelle pendant que les grands projets font l’objet d’un examen. Une décision concernant leur avenir est attendue d’ici le début de l’été.
Alors que je suis cette histoire depuis mon bureau qui surplombe la rue Sainte-Catherine, je ne peux m’empêcher de sentir que nous sommes pris dans un cycle familier. La vision d’un système de santé parfaitement connecté s’éloigne une fois de plus à l’horizon tandis que les Montréalais continuent de naviguer dans le système que nous avons, et non celui qui nous a été promis.
Pour une ville qui s’enorgueillit de sa créativité et de son innovation, nos difficultés avec la technologie de la santé nous rappellent que même les plans les plus brillants doivent composer avec les réalités complexes des budgets, de la politique et de l’immense défi que représente la prise en charge de millions de Québécois.
La question maintenant est de savoir si cette pause mènera à des projets plus solides et durables, ou si nous assistons simplement à un nouveau chapitre dans la relation compliquée du Québec avec la modernisation des soins de santé. Seul le temps – et le prochain cycle budgétaire – nous le dira.