Les publicités de jeux d’argent ciblant les enfants au Canada : un médecin d’Ottawa tire la sonnette d’alarme

Sara Thompson
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La croissance explosive des publicités de paris sportifs à travers le Canada suscite de sérieuses préoccupations quant à leur impact sur les jeunes téléspectateurs, particulièrement alors que ces annonces apparaissent de plus en plus pendant les diffusions sportives familiales et sur les plateformes de médias sociaux fréquentées par les enfants.

En me promenant au Centre Rideau le week-end dernier, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer plusieurs adolescents collés à leurs téléphones, discutant des cotes pour le prochain match des Sénateurs. Cette scène est devenue de plus en plus courante dans notre communauté, et les experts médicaux sonnent maintenant l’alarme.

La Dre Melanie Willows, médecin spécialiste des dépendances au Centre de santé mentale Royal Ottawa, est devenue une voix importante préconisant des réglementations plus strictes. Dans une étude récente publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne, la Dre Willows et ses collègues ont documenté l’inquiétante normalisation du jeu chez les jeunes Canadiens.

« L’environnement réglementaire actuel permet aux opérateurs de jeux de hasard de faire de la publicité pendant les événements sportifs aux heures de grande écoute, quand les familles regardent ensemble, » m’a confié la Dre Willows lors de notre entretien à son bureau d’Ottawa. « Les enfants sont particulièrement vulnérables à ces messages qui présentent les paris comme excitants, basés sur l’habileté et sans conséquences. »

Les statistiques dressent un tableau préoccupant pour les parents d’Ottawa. Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, environ 30 à 35% des revenus du jeu proviennent des 4 à 5% de Canadiens qui souffrent de problèmes liés au jeu. Plus troublant encore, le Centre rapporte que les taux de problèmes de jeu chez les adolescents sont en réalité plus élevés que chez les adultes.

Les publicités de paris apparaissent désormais sur pratiquement toutes les plateformes accessibles aux jeunes. Des diffusions télévisées de matchs de hockey aux fils d’actualité des médias sociaux, et même dans les jeux vidéo populaires auprès des enfants, la portée marketing est complète et difficile à surveiller entièrement pour les parents.

Sarah Richardson, parent et défenseure communautaire locale, a partagé sa frustration lors d’une récente réunion communautaire à Barrhaven. « Mon fils de 12 ans peut réciter mot pour mot les slogans des applications de paris après avoir regardé des matchs des Sénateurs avec son père. Ce n’est pas le genre de lien familial que nous avions en tête. »

Le volume de promotion des paris a considérablement augmenté depuis la légalisation des paris sportifs sur événement unique au Canada en 2021. Avant ce changement, les Canadiens ne pouvaient placer que des paris combinés (nécessitant plusieurs prédictions correctes), mais la nouvelle législation a ouvert les vannes pour une industrie désormais estimée à plusieurs milliards annuellement.

L’Ontario a ouvert la voie en créant un marché réglementé pour les opérateurs privés en avril 2022. Bien que d’autres provinces maintiennent des monopoles gouvernementaux sur les jeux de hasard, la publicité pour ces services reste largement non réglementée à l’échelle nationale.

La Dre Willows souligne que la publicité sur les jeux de hasard au Canada fait face à beaucoup moins de restrictions que la promotion du tabac ou du cannabis. « Nous avons de solides protections limitant l’exposition des jeunes aux cigarettes et au cannabis, mais les publicités de paris – qui peuvent déclencher une dépendance destructrice – font face à une réglementation minimale malgré leurs effets nocifs prouvés sur les populations vulnérables. »

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) assure une certaine surveillance des publicités de jeux de hasard, mais les critiques soutiennent que ces protections sont insuffisantes compte tenu du paysage numérique en rapide évolution où se déroule désormais une grande partie du marketing.

Des députés fédéraux de plusieurs partis ont commencé à réclamer des mesures. Le député d’Ottawa-Centre, Yasir Naqvi, a récemment abordé la question lors d’un forum communautaire au Centre communautaire du Glebe. « Nous devons examiner si notre cadre réglementaire actuel protège adéquatement les jeunes Canadiens d’être ciblés par une industrie qui profite de la dépendance. »

Les professionnels de la santé comparent la situation actuelle à la publicité du tabac avant la mise en œuvre de restrictions complètes. La Dre Willows et d’autres experts suggèrent plusieurs solutions potentielles:

« Nous avons besoin de messages d’avertissement obligatoires qui soient réellement efficaces, de restrictions sur l’utilisation d’endossements de célébrités qui plaisent aux jeunes, et d’interdictions complètes pendant les diffusions avec un public jeune important, » explique la Dre Willows.

L’industrie du jeu maintient qu’elle promeut le jeu responsable et ne cible pas intentionnellement les mineurs. Les représentants de l’industrie soulignent des mesures volontaires, notamment des systèmes de vérification d’âge et des messages de jeu responsable.

Cependant, une promenade dans n’importe quel quartier d’Ottawa pendant la saison de hockey révèle l’omniprésence de ces messages. Des publicités dans les abribus aux pauses commerciales constantes pendant les diffusions de matchs, le marketing est difficile à éviter.

Les conseillers scolaires locaux signalent des préoccupations croissantes. « Nous voyons des élèves dès la 7e année discuter de cotes et de stratégies de paris, » note Maria Kowalski, conseillère dans une école intermédiaire d’Ottawa qui a demandé que son école ne soit pas identifiée. « Ils absorbent ces messages même lorsque les parents essaient de limiter l’exposition. »

Pour les familles d’Ottawa préoccupées par l’exposition aux publicités de jeux de hasard, les experts recommandent des conversations ouvertes sur les réalités des probabilités et des risques de jeu. Les parents devraient expliquer que les entreprises de jeux de hasard finissent par profiter parce que les jeux sont conçus pour que les joueurs perdent à long terme.

Alors que notre communauté continue de naviguer dans cette problématique, l’appel à des protections réglementaires plus strictes se fait de plus en plus fort. La Dre Willows souligne que l’intervention précoce est cruciale: « Plus une personne commence à jouer tôt, plus elle risque de développer des problèmes plus tard dans sa vie.« 

Avec la reprise des travaux du Parlement et une sensibilisation croissante du public, de nombreux résidents d’Ottawa espèrent voir des actions significatives qui équilibrent les intérêts de l’industrie avec la protection des jeunes Canadiens.

En attendant, des organisations communautaires comme Gambling Research Exchange Ontario et le Conseil du jeu responsable offrent des ressources aux parents cherchant des conseils pour discuter des risques du jeu avec les enfants et reconnaître les signes avant-coureurs de comportements problématiques.

En quittant le bureau de la Dre Willows, observant les feuilles d’automne tomber le long du canal, ses derniers mots m’ont marqué: « Il ne s’agit pas d’interdire aux adultes de parier. Il s’agit de protéger les enfants d’être préparés comme la prochaine génération de clients pour une industrie qui profite de la dépendance. »

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