Les sourcils levés dans la salle étaient impossibles à manquer alors que les ambassadeurs européens remettaient en question ce que de nombreux Calgariens tiennent depuis longtemps pour acquis – notre système byzantin de barrières commerciales interprovinciales. Après avoir couvert le paysage des affaires de Calgary pendant près d’une décennie, j’ai rarement vu notre structure économique nationale scrutée aussi directement par des responsables internationaux.
« Cela nous surprend, » a remarqué Melita Gabrič, ambassadrice de l’Union européenne au Canada, lors de la table ronde d’hier à la Chambre de commerce de Calgary. « Vous avez une population si petite pour un pays si vaste – ne serait-il pas logique de créer un marché unique? »
Sa question va droit au cœur d’un paradoxe que j’observe depuis des années en couvrant les entreprises locales. Le Canada défend les accords de libre-échange à l’international tout en maintenant un ensemble disparate de barrières internes qui coûtent des milliards à notre économie chaque année.
La délégation diplomatique, comprenant les ambassadeurs de l’UE, de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas, n’a pas caché sa perplexité. Ils sont actuellement en tournée dans l’Ouest canadien pour renforcer les relations commerciales suite à la mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG).
Pour les entreprises de Calgary qui cherchent à s’étendre au-delà des frontières provinciales, les frustrations sont trop familières. Différentes réglementations pour le camionnage, diverses certifications professionnelles et des normes alimentaires incohérentes créent des maux de tête que les entreprises européennes n’ont tout simplement pas lorsqu’elles opèrent dans leur union de 27 pays.
L’Accord de libre-échange canadien, mis en œuvre en 2017, était censé résoudre ces barrières. Pourtant, six ans plus tard, les progrès restent douloureusement lents. L’accord contient plus de 100 pages d’exceptions – ce que j’ai entendu des entrepreneurs locaux appeler « l’exception qui a mangé la règle. »
« Nous ne faisons pas la leçon au Canada, » a expliqué l’ambassadrice allemande Sabine Sparwasser, bien que son ton suggérait une réelle confusion. « Mais c’est inefficace. Pourquoi ne voudriez-vous pas que vos camionneurs puissent traverser les frontières provinciales sans différentes réglementations? »
Ces observations ne sont pas simplement académiques. Selon Statistique Canada, les barrières commerciales internes coûtent à notre économie entre 50 et 130 milliards de dollars annuellement. Pour mettre les choses en perspective, ce chiffre supérieur dépasse l’ensemble du budget provincial de l’Alberta.
Deborah Yedlin, présidente de la Chambre de commerce de Calgary, a reconnu ces préoccupations directement. « Nous avons besoin d’un meilleur alignement, » a-t-elle admis. « Ça ne fonctionne pas comme ça devrait fonctionner. »
La Chambre plaide depuis longtemps pour la réduction de ces barrières, comprenant que les entreprises de Calgary font face à suffisamment de défis sans entraves artificielles à la croissance nationale. Dans une économie post-pandémique qui cherche encore à se stabiliser, ces inefficacités semblent de plus en plus indéfendables.
Ce qui m’a le plus frappé pendant la discussion, c’est le contraste entre le pragmatisme européen et la complaisance canadienne. L’UE a réussi à harmoniser les réglementations à travers des pays aux langues, cultures et histoires différentes. Pendant ce temps, nous luttons pour créer des règles cohérentes entre l’Alberta et la Saskatchewan.
Le moment de cette critique ne pourrait être plus pertinent pour Calgary. Alors que notre ville travaille à se diversifier au-delà des secteurs énergétiques traditionnels, la capacité d’accéder sans heurts aux marchés à travers le Canada devient de plus en plus cruciale pour les industries émergentes.
Plusieurs entrepreneurs technologiques locaux que j’ai interviewés expriment leur frustration face à la navigation dans différentes lois provinciales sur la protection des données. Les innovateurs en soins de santé citent les réglementations provinciales incohérentes comme des obstacles majeurs à l’expansion nationale. Ce ne sont pas seulement des inconvénients – ce sont des défis existentiels pour les entreprises en croissance.
Les gouvernements provinciaux défendent souvent ces barrières comme protégeant les intérêts ou les normes locales. Mais comme l’a souligné l’ambassadeur français Michel Miraillet, « On peut maintenir des normes élevées tout en ayant une harmonisation. »
La critique ne porte pas seulement sur les réglementations techniques. Elle s’étend à la libre circulation des travailleurs – un sujet particulièrement pertinent pour le marché du travail en évolution de Calgary. Alors que les professionnels européens peuvent facilement travailler dans 27 pays, les Canadiens font souvent face à des obstacles lorsqu’ils franchissent les frontières provinciales avec leurs qualifications.
Cette question transcende les divisions politiques typiques. Les gouvernements provinciaux, tant conservateurs que libéraux, ont maintenu des barrières qui protègent les intérêts établis au détriment de l’efficacité économique et de la croissance. Les observations des diplomates servent de miroir, reflétant un système dysfonctionnel que nous avons normalisé.
Pour la reprise post-pandémique de Calgary, l’élimination de ces barrières représente une opportunité significative. Le Conference Board du Canada estime que l’élimination des barrières commerciales internes pourrait ajouter 80 milliards de dollars à notre PIB national. Pour une ville qui cherche la diversification économique, ce n’est pas négligeable.
La visite des ambassadeurs européens coïncide avec les appels croissants des groupes d’affaires pour finalement s’attaquer à ce problème de manière globale. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a constamment identifié les barrières commerciales interprovinciales comme une préoccupation majeure pour leurs membres, y compris des centaines d’entrepreneurs de Calgary.
Alors que notre ville se positionne comme un centre pour les entreprises de la nouvelle économie, la capacité de se développer à l’échelle nationale sans friction devient de plus en plus importante. Les diplomates européens nous ont rendu service en remettant en question des hypothèses que nous avons longtemps acceptées.
« Parfois, vous avez besoin d’étrangers pour pointer ce à quoi les initiés sont devenus aveugles, » a reconnu Yedlin.
Après avoir couvert la communauté d’affaires de Calgary pendant des années, j’ai vu de première main comment ces barrières entravent la croissance et l’innovation. Peut-être faut-il des visiteurs européens pour nous rappeler qu’il n’y a rien d’inévitable dans notre structure économique fragmentée.
Alors que les ambassadeurs poursuivent leur tournée dans l’Ouest canadien, ils laissent derrière eux une question importante pour les Calgariens à considérer: si l’Europe peut créer un marché unique fonctionnel à travers 27 nations diverses, qu’est-ce qui empêche le Canada de faire de même à travers 10 provinces et trois territoires?
C’est une question à laquelle notre communauté d’affaires – et nos politiciens – feraient bien de répondre.