Cela fait près de 15 ans que je couvre le système de santé albertain, et rarement ai-je vu une initiative législative provoquer une résistance aussi immédiate et vigoureuse que le projet de loi 26. La controversée « Loi sur la protection des soins de santé de l’Alberta » présentée par le gouvernement UCP de Danielle Smith s’est rapidement transformée en l’un des champs de bataille politique les plus contestés de l’année.
Hier, en traversant la foule rassemblée devant l’Assemblée législative, ce n’était pas seulement la température qui montait à Edmonton. Des dizaines de défenseurs des soins de santé se tenaient côte à côte, nombreux brandissant des pancartes condamnant ce qu’ils considèrent comme un pas dangereux vers un système de santé à l’américaine.
« Il ne s’agit pas d’améliorer l’accès, mais de démanteler le système sur lequel nous comptons, » m’a confié Dr. Melissa Fung, médecin de famille à Edmonton que j’ai interviewée à plusieurs reprises au fil des ans. Sa frustration était palpable alors que nous parlions entre les slogans scandés par la foule.
Essentiellement, le projet de loi 26 interdit le paiement privé pour des services déjà couverts par l’assurance-maladie de l’Alberta. La première ministre Smith le présente comme une protection du système public, mais les critiques soutiennent que l’objectif réel du projet est d’ouvrir des portes dérobées à la privatisation tout en semblant défendre le système public.
L’Association médicale de l’Alberta a exprimé d’importantes préoccupations concernant les impacts potentiels de cette législation. Le président de l’AMA, Dr. Paul Parks, a noté dans une déclaration la semaine dernière que « toute législation affectant la prestation des soins de santé mérite une consultation approfondie avec les professionnels de la santé et le public. »
Ce qui rend cette situation particulièrement fascinante, c’est qu’elle se déroule dans le contexte des défis persistants du système de santé albertain. Les temps d’attente pour les chirurgies demeurent obstinément longs à travers la province – j’en ai été témoin personnellement lorsque mon voisin a attendu 13 mois pour une prothèse de hanche au Centre médical Foothills.
L’organisme Friends of Medicare, groupe de défense de longue date, n’a pas mâché ses mots dans son évaluation. Le directeur exécutif Chris Gallaway a qualifié le projet de loi 26 de « cheval de Troie conçu pour faire avancer l’agenda de privatisation de ce gouvernement tout en prétendant faire le contraire. »
La première ministre Smith, cependant, reste ferme dans sa position. Lors de la conférence de presse de mardi, à laquelle j’ai assisté au Centre McDougall à Calgary, elle a défendu la législation comme une réforme nécessaire pour un système qui plie sous son propre poids.
« Les Albertains méritent mieux que le statu quo, » a déclaré Smith, soulignant le budget de 24,5 milliards de dollars consacré à la santé comme preuve que le financement n’est pas le problème fondamental. « Ce projet de loi garantit que les services essentiels restent financés publiquement tout en permettant des innovations dans leur prestation. »
Les chiffres racontent une histoire complexe. Les données d’Alberta Health Services montrent qu’environ 76 000 Albertains attendent actuellement pour des chirurgies. La province s’est engagée à réaliser 23 000 chirurgies supplémentaires cette année grâce à son initiative chirurgicale, incluant des contrats avec des établissements privés qui facturent le système public.
Ce qui est souvent perdu dans ces débats passionnés, c’est l’impact réel sur les Albertains ordinaires. Le mois dernier, j’ai parlé avec Janet Woodward, une enseignante retraitée de 68 ans d’Airdrie, qui attend une chirurgie de la cataracte depuis plus d’un an.
« Peu m’importe qui fournit le service, » m’a-t-elle dit depuis son salon, où s’alignent des photos de famille qu’elle peut à peine voir désormais. « Je veux simplement pouvoir lire à nouveau les bulletins scolaires de mes petits-enfants sans ce flou constant. »
La contestation juridique lancée par les Infirmières unies de l’Alberta ajoute une autre dimension à ce drame en cours. Leur demande de révision judiciaire soutient que le projet de loi 26 contourne effectivement la Loi canadienne sur la santé en créant des voies pour une prestation privatisée tout en maintenant un financement public.
Les experts en droit de la santé que j’ai consultés suggèrent que cette affaire pourrait éventuellement se rendre jusqu’à la Cour suprême, établissant potentiellement des précédents pour la prestation de soins de santé à travers le Canada.
Entre-temps, dans les hôpitaux de Calgary, l’humeur parmi les travailleurs de la santé avec qui j’ai parlé va d’un optimisme prudent à une alarme non dissimulée. Nombreux sont ceux qui ont exprimé des préoccupations concernant les implications en matière de personnel si les établissements privés élargissent leurs opérations.
« Nous sommes déjà à bout de souffle, » m’a confié une infirmière du Centre Peter Lougheed, demandant l’anonymat par crainte de s’exprimer publiquement. « Si les cliniques privées commencent à attirer le personnel avec de meilleurs salaires ou conditions de travail, qu’adviendra-t-il des patients qui ne peuvent pas se permettre ces options? »
Alors que cette histoire continue de se développer, il devient de plus en plus clair que les soins de santé en Alberta se trouvent à la croisée des chemins. L’issue de cette bataille législative et juridique façonnera non seulement la façon dont les Albertains accèdent aux services médicaux, mais pourrait potentiellement influencer les modèles de soins de santé à travers le pays.
Pour les Calgariens qui observent ces développements, les enjeux ne pourraient être plus élevés. En tant que personne ayant couvert ce domaine à travers plusieurs gouvernements et tentatives de réforme, je peux affirmer avec certitude: la résolution de ce conflit laissera une empreinte durable sur le paysage des soins de santé de notre province pour les générations à venir.