Dans ce qui semble être une crise grandissante pour le système éducatif montréalais, des milliers d’enseignants, de personnel scolaire et de sympathisants se sont rassemblés au centre-ville hier lors de ce que les organisateurs ont qualifié de plus grande manifestation pour l’éducation de mémoire récente. Cette démonstration survient alors que le ministre de l’Éducation Bernard Drainville fait face à des critiques croissantes concernant sa gestion des compressions budgétaires affectant les écoles à travers la province.
La marée de manifestants s’étendait le long du boulevard René-Lévesque, plusieurs arborant les désormais emblématiques carrés rouges devenus synonymes des protestations québécoises pour l’éducation. Les enseignants portaient des pancartes avec des messages comme « Nos enfants méritent mieux » et « Les coupures en éducation ne guérissent jamais ».
« Nous assistons au démantèlement de l’éducation publique », a déclaré Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente 65 000 enseignants à travers le Québec. « Ces compressions auront des conséquences dévastatrices pour nos élèves les plus vulnérables, particulièrement ceux ayant des besoins particuliers qui peinent déjà à recevoir un soutien adéquat. »
La manifestation fait suite à l’annonce le mois dernier d’une réduction de 412 millions de dollars des dépenses en éducation, incluant d’importantes coupures dans les programmes spécialisés et les services de soutien. Selon des documents obtenus par LCN.today, les écoles de la région montréalaise supporteront un fardeau disproportionné, perdant environ 87 millions de dollars en financement.
En tant qu’observateur du paysage éducatif montréalais depuis plus d’une décennie, j’ai été témoin de cycles de contraintes budgétaires, mais l’ampleur de ces coupes semble sans précédent. En marchant parmi les manifestants hier, j’ai été frappé par le sentiment palpable de trahison chez les éducateurs qui espéraient un renforcement, et non une réduction, après les défis de la reprise post-pandémique.
« On nous avait promis des investissements en éducation pendant la campagne électorale », a déclaré Robert Gendron, un enseignant du secondaire de Pointe-Claire qui enseigne depuis 22 ans. « Au lieu de cela, nous voyons des programmes d’éducation spécialisée éviscérés et des tailles de classes qui augmentent. Comment suis-je censé accorder une attention adéquate à 35 élèves quand plusieurs nécessitent un soutien individualisé? »
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), représentant plus de 200 000 travailleurs de l’éducation, a réclamé la démission du ministre Drainville. « Sa mauvaise gestion et son incompréhension des réalités en classe le rendent inapte à diriger notre système d’éducation », a déclaré le président de la CSQ Éric Gingras lors du rassemblement d’hier.
Les parents ont également rejoint le mouvement, formant des groupes de solidarité dans les quartiers montréalais. « En tant que parent d’un enfant ayant des difficultés d’apprentissage, je suis terrifiée par ce que ces compressions signifient pour mon fils », a partagé Catherine Lemieux de Rosemont. « L’orthopédagogue qui a été cruciale pour ses progrès aura maintenant deux fois plus de dossiers. C’est tout simplement impossible. »
L’Association des enseignants de Montréal estime qu’environ 430 postes d’éducation spécialisée seront éliminés dans les écoles de la ville. Pendant ce temps, le Ministère maintient que les compressions sont nécessaires pour faire face aux défis fiscaux de la province.
Le ministre Drainville a défendu ces décisions lors d’une conférence de presse hier, déclarant: « Des choix difficiles doivent être faits pour assurer la stabilité financière du Québec. Nous travaillons à minimiser les impacts sur les élèves tout en répondant à notre réalité budgétaire. »
Sa déclaration a provoqué une réaction immédiate des partis d’opposition. La porte-parole de Québec Solidaire en matière d’éducation, Ruba Ghazal, a critiqué le gouvernement pour « équilibrer le budget sur le dos des enfants », tandis que la députée libérale Marwah Rizqy a qualifié les compressions de « myopes et nuisibles à la future main-d’œuvre du Québec ».
Les commissions scolaires s’efforcent de s’adapter. Le Centre de services scolaire de Montréal a confirmé que 62 postes de techniciens en éducation spécialisée seront éliminés, tandis que le soutien aux apprenants de langue anglaise sera réduit d’environ 30%.
Ayant visité plusieurs écoles montréalaises ces dernières semaines, j’ai observé de première main l’anxiété que ces compressions génèrent. À l’École Saint-Barthélemy dans Villeray, les enseignants tenaient des réunions d’urgence pour déterminer comment redistribuer les ressources avec moins de personnel.
« Nous luttons déjà pour répondre aux besoins de notre population étudiante diversifiée », a expliqué la directrice Josée Bouchard. « Ces compressions nous forceront à faire des choix impossibles entre des services tout aussi essentiels. »
Les experts en éducation mettent en garde contre les conséquences à long terme. Le professeur Steve Bissonnette de l’Université TÉLUQ note que « réduire le soutien spécialisé mène inévitablement à des taux de décrochage plus élevés et à de moins bons résultats scolaires, particulièrement dans les quartiers défavorisés. »
Selon les données de l’Institut du Québec, chaque dollar coupé des programmes d’intervention précoce entraîne généralement 7 dollars de coûts supplémentaires en services sociaux plus tard.
Les organismes communautaires interviennent pour combler les lacunes. Les YMCA du Québec ont annoncé hier une expansion de leurs programmes de soutien aux devoirs après l’école, tandis que Centraide a lancé un fonds d’urgence pour les initiatives communautaires axées sur l’éducation.
« Nous assistons à une mobilisation sans précédent à travers les secteurs », a noté Chantal Castonguay de Centraide. « Mais la charité ne peut pas remplacer un financement public adéquat de l’éducation. »
À l’approche des vacances d’été, les leaders syndicaux ont promis de maintenir la pression sur le gouvernement. « Ce n’est pas terminé », a averti Mme Hubert de la FAE. « Si ces compressions ne sont pas annulées, septembre apportera des manifestations encore plus importantes. »
Le ministre Drainville a accepté de rencontrer les représentants syndicaux la semaine prochaine, mais les attentes d’un compromis significatif restent faibles. Avec des positions apparemment retranchées des deux côtés, la communauté éducative montréalaise semble se diriger vers un automne tumultueux.
Pour les familles montréalaises qui planifient la prochaine année scolaire, l’incertitude ajoute une couche supplémentaire de stress. Comme me l’a confié la parent Marie-Claude Desjardins en venant chercher ses enfants à l’École Saint-Arsène, « Nous retenons tous notre souffle, espérant que l’éducation de nos enfants ne sera pas le prix à payer pour des décisions politiques prises loin de la salle de classe. »