J’ai passé la dernière semaine à discuter avec des médecins de Sainte-Justine et du CUSM, essayant de comprendre ce qui se passe à huis clos alors que les tensions montent entre les médecins québécois et le gouvernement provincial. Le différend concernant la réforme de la structure de rémunération des médecins a évolué d’un désaccord professionnel vers quelque chose de plus personnel et tendu.
« Ce n’est plus seulement une question d’argent, » m’a confié la Dre Marie Fontaine autour d’un café près de son bureau au Centre universitaire de santé McGill. « Il s’agit du respect pour notre profession et de la pérennité de notre système de santé. » Après 22 ans comme pédiatre, sa frustration était palpable.
Au cœur du débat se trouve la proposition du ministre de la Santé Christian Dubé visant à refondre la rémunération des médecins, ce qui changerait fondamentalement la façon dont les 23 000 médecins québécois sont payés. Le gouvernement souhaite augmenter le pourcentage de médecins rémunérés à l’heure plutôt qu’à l’acte, ce dernier dominant actuellement les modèles de rémunération.
La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) ont toutes deux exprimé une forte opposition. Le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ, a déclaré que le gouvernement essaie d' »imposer unilatéralement des changements » sans consultation adéquate.
En parcourant les corridors de l’Hôpital Sainte-Justine hier, j’ai remarqué la tension. Des médecins se regroupaient en petits comités pendant les pauses, leurs conversations feutrées mais animées. Une spécialiste, qui a demandé l’anonymat, a partagé que de nombreux médecins se sentent « pris en embuscade » par l’approche du gouvernement.
« Nous sommes déjà débordés, » a-t-elle expliqué. « Maintenant, on nous présente comme des obstacles à la réforme, alors que nous proposons en réalité des solutions plus efficaces. »
Le différend s’est intensifié après que le premier ministre François Legault ait commenté que les médecins « doivent travailler plus d’heures« , une remarque que beaucoup de médecins ont trouvé profondément offensante étant donné leurs horaires déjà exigeants. Selon les données de l’Enquête sur la santé de Montréal, les spécialistes travaillent en moyenne 50 à 60 heures par semaine, avec de nombreuses responsabilités de garde s’étendant au-delà de ces heures.
Le Dr Marc Lebel, qui pratique la médecine familiale dans l’est de Montréal, a exprimé son inquiétude concernant les impacts potentiels sur les soins aux patients. « Si ces changements sont imposés sans répondre à nos préoccupations, nous verrons plus de médecins réduire leurs heures ou quitter le Québec, » a-t-il averti.
L’Institut de recherche socioéconomique de l’Université de Montréal a récemment publié des résultats montrant que le Québec fait déjà face à des défis pour retenir les médecins, avec environ 75 spécialistes qui partent chaque année vers d’autres provinces offrant de meilleures conditions de travail.
Pour des patients comme Monique Tremblay, que j’ai rencontrée dans une salle d’attente bondée à Verdun, ces désaccords se traduisent par des inquiétudes concrètes. « J’ai attendu huit mois pour voir ce spécialiste, » a-t-elle soupiré. « Si les médecins commencent à partir, qu’arrivera-t-il aux gens comme moi?«
Hier après-midi, j’ai assisté à une conférence de presse où le ministre Dubé a défendu les réformes, insistant sur le fait qu’elles amélioreraient l’accès aux soins. « Notre objectif est de garantir que les Québécois puissent consulter des médecins quand ils en ont besoin, » a-t-il déclaré, « et notre système actuel n’y parvient pas. »
Pourtant, les médecins avec qui j’ai parlé s’accordent unanimement à dire que le problème est plus complexe. Le Dr Jean Godin, qui partage son temps entre la pratique clinique et l’enseignement, croit que le gouvernement fait un mauvais diagnostic du problème. « Les goulots d’étranglement ne sont pas causés par notre mode de rémunération, » a-t-il expliqué, « mais par des inefficacités systémiques qui gaspillent notre temps et nous empêchent de voir plus de patients. »
Ces perspectives révèlent une déconnexion fondamentale. Le gouvernement voit la réforme des paiements comme un levier pour augmenter la disponibilité des médecins, tandis que les médecins la considèrent comme une distraction face à des problèmes plus substantiels comme la charge administrative et l’allocation des ressources.
Observer ce différend me rappelle des tensions similaires que j’ai couvertes en 2018, qui avaient presque abouti à des actions de protestation des spécialistes. Ce qui semble différent cette fois, c’est la nature de plus en plus publique du désaccord et les positions durcies des deux côtés.
Le paysage unique de la santé à Montréal rend ce différend particulièrement conséquent pour notre ville. Avec des hôpitaux universitaires majeurs desservant à la fois les communautés locales et les patients référés de partout au Québec, toute perturbation pourrait avoir des effets en cascade.
En quittant mon entrevue avec la Dre Fontaine, elle a partagé une réflexion finale qui m’est restée en tête : « La plupart d’entre nous avons choisi la médecine parce que nous croyons au système de santé public québécois. Nous voulons qu’il fonctionne mieux, pas juste différemment.«
Les semaines à venir détermineront si un compromis est possible ou si cette impasse s’intensifiera davantage, affectant potentiellement la prestation des soins de santé à Montréal et au-delà. Pour l’instant, les deux parties semblent retranchées, avec des patients pris au milieu d’un différend qui transcende la rémunération pour toucher aux questions fondamentales sur la façon dont les soins de santé devraient être dispensés et valorisés dans la société québécoise.
 
					 
		 
		 
		