En me promenant le long du Boulevard Saint-Laurent en cette fraîche matinée d’automne, l’énergie vibrante de Montréal semble inchangée. Pourtant, sous la surface multiculturelle de notre ville, d’importants changements se produisent à nos frontières qui méritent notre attention.
Le poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle, à seulement une heure de route au sud de notre métropole animée, a vu les demandes d’asile doubler ces derniers mois, selon les données publiées hier par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
« Nous assistons à des chiffres sans précédent, » explique Marie Tremblay, porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Québec. « Par rapport aux chiffres de l’année dernière, les demandeurs d’asile arrivant à Lacolle ont augmenté de 112%. »
Cette hausse présente des défis complexes pour notre province. Au Café Olimpico, où je recueille souvent les opinions des locaux, les avis sont aussi variés que l’architecture de notre ville. Certains expriment des inquiétudes concernant l’allocation des ressources, tandis que d’autres soulignent nos responsabilités humanitaires.
Le professeur Jean Lecavalier du département d’études sur l’immigration de l’Université de Montréal fournit un contexte: « Le Québec a historiquement maintenu un équilibre délicat entre l’accueil des nouveaux arrivants et la préservation de son identité culturelle. Cette affluence actuelle met cet équilibre à l’épreuve. »
Les raisons de cette augmentation sont multiples. Les conflits mondiaux, les disparités économiques et l’évolution des politiques d’immigration aux États-Unis ont créé ce que l’avocate en immigration Sophie Bédard appelle « un parfait orage de facteurs d’incitation et d’attraction. »
« Beaucoup de demandeurs d’asile voient le Québec comme un havre de paix avec des communautés culturelles établies et de solides soutiens sociaux, » explique Bédard lors de notre conversation dans son bureau de Saint-Henri. « L’exigence de la langue française est en fait perçue comme un avantage pour nombreux venant de pays francophones. »
En me promenant dans Parc-Extension, quartier d’immigrants vibrant de Montréal, je constate de première main comment les nouveaux arrivants enrichissent notre tissu culturel. Ahmad, arrivé il y a trois ans comme réfugié de Syrie, possède maintenant une petite boulangerie vendant des pâtisseries moyen-orientales aux côtés des classiques québécois.
« Je comprends les préoccupations quand beaucoup de gens arrivent en même temps, » me dit-il, en arrangeant soigneusement des ma’amoul frais. « Mais la plupart d’entre nous veulent simplement travailler dur et contribuer. »
Les responsables provinciaux expriment une pression croissante sur les systèmes de logement temporaire et de traitement. Le premier ministre François Legault a déclaré hier que le Québec a besoin d’un soutien fédéral supplémentaire pour gérer l’augmentation des chiffres. « Nos ressources sont limitées, et l’hiver approche, » a-t-il souligné lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale.
Les organismes communautaires redoublent d’efforts admirablement. Au Pont, un centre de soutien aux réfugiés à Côte-des-Neiges, des bénévoles coordonnent tout, des cours de langue aux collectes de manteaux d’hiver.
« Les Montréalais ont de grands cœurs, » dit Fatima Diallo, directrice du centre. « Mais la bonne volonté seule ne peut pas résoudre les défis systémiques. Nous avons besoin d’une action gouvernementale coordonnée et d’un financement durable. »
Les implications économiques restent complexes. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain a publié une étude suggérant que, bien que les coûts initiaux soient importants, les réfugiés qui s’intègrent avec succès deviennent souvent des contributeurs précieux à notre économie dans les cinq ans.
Après vingt ans à couvrir l’évolution de Montréal, j’ai observé comment l’immigration redessine continuellement notre identité collective. Ce dernier chapitre à Lacolle fait partie de notre récit continu.
Alors que la neige commence à saupoudrer les rues de Montréal, les préoccupations pratiques concernant les hébergements d’hiver deviennent plus urgentes. Les responsables municipaux convertissent des bâtiments inutilisés en abris temporaires, mais la capacité reste limitée.
Pour les Montréalais ordinaires, la situation frontalière semble souvent lointaine jusqu’à ce qu’elle se manifeste dans les changements de quartier ou les débats politiques. Pourtant, les décisions prises aujourd’hui influenceront sans aucun doute le Montréal que nous deviendrons demain.
« Nous avons besoin d’un pragmatisme compatissant, » soutient la sociologue Chantal Bernier de l’UQAM. « Des solutions qui honorent à la fois nos valeurs humanitaires et nos réalités pratiques. »
En retournant à mon bureau le long de l’Avenue du Mont-Royal, passant devant des boutiques affichant à la fois des fleurs de lys et des drapeaux internationaux, je me rappelle que la force de notre ville a toujours été sa capacité à évoluer tout en maintenant son caractère essentiel.
Le doublement des demandes d’asile à Saint-Bernard-de-Lacolle représente non seulement un problème frontalier, mais aussi un moment qui nous invite à réfléchir à qui nous sommes en tant que Québécois et Montréalais dans un monde de plus en plus complexe.