Le témoignage lors du procès de Gilbert Rozon à Montréal commence

Amélie Leclerc
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Le fondateur de Juste pour rire, Gilbert Rozon, a assisté impassible aux procédures qui se sont déroulées hier au palais de justice du centre-ville de Montréal, marquant ce que plusieurs considèrent comme un moment décisif pour l’industrie du divertissement québécoise.

Le procès, qui captive l’attention du public à travers la ville, représente bien plus que de simples procédures juridiques – il symbolise une importante remise en question culturelle au sein de la communauté artistique montréalaise. En tant que journaliste couvrant le paysage culturel montréalais depuis plus de quinze ans, j’ai observé comment cette affaire a résonné dans tous les coins de notre écosystème créatif.

« Ce procès marque un tournant pour la responsabilisation dans les cercles du divertissement québécois, » a expliqué Marie-Claude Sarrazin, directrice de Femmes du cinéma et de la télévision de Montréal, avec qui j’ai parlé à l’extérieur du palais de justice. « L’industrie observe attentivement, comprenant que les anciennes dynamiques de pouvoir sont remises en question. »

À l’intérieur de la salle d’audience, les témoignages ont révélé des allégations troublantes contre le fondateur de ce qui est devenu l’une des exportations culturelles montréalaises les plus reconnues internationalement. Le festival Juste pour rire, lancé en 1983, a transformé Montréal en une destination mondiale de la comédie chaque été, attirant des artistes et des professionnels de l’industrie du monde entier.

Les documents judiciaires décrivent plusieurs incidents qui se seraient produits entre 1980 et 2016, bien que Rozon ait constamment maintenu son innocence tout au long des audiences préliminaires. Son équipe de défense, dirigée par la célèbre avocate montréalaise Isabel Schurman, semblait concentrée sur la contestation de la chronologie des événements présentée par la poursuite.

Les procédures ont ravivé les conversations sur les déséquilibres de pouvoir dans l’industrie du divertissement montréalaise. Au Café Olympico dans le Mile End hier soir, j’ai entendu des discussions animées entre artistes locaux débattant des implications plus larges.

« C’est compliqué, » a soupiré la vétérane humoriste québécoise Marie-Lyne Joncas lorsque je l’ai jointe par téléphone. « Le festival a donné leur chance à beaucoup d’entre nous, mais on ne peut pas ignorer ces allégations graves. La communauté humoristique se sent à la fois trahie et déterminée à créer de meilleurs systèmes. »

L’impact économique de l’affaire s’étend au-delà de la salle d’audience. Tourisme Montréal estime que le festival Juste pour rire générait historiquement environ 80 millions de dollars annuellement pour l’économie locale, créant des milliers d’emplois saisonniers et mettant notre ville en valeur auprès des visiteurs internationaux.

Suite aux allégations contre Rozon en 2017, le festival a subi une restructuration importante. Un groupe incluant l’humoriste Howie Mandel a acquis le festival, mettant en place une nouvelle direction et des politiques d’éthique. Le gouvernement du Québec est également intervenu avec un soutien financier pour assurer la survie de cette institution culturelle.

« Montréal doit protéger le festival tout en abordant ces préoccupations sérieuses, » a expliqué Jean Belanger, professeur d’économie culturelle à l’Université McGill. « Cela représente un équilibre délicat entre la responsabilisation et la préservation d’un atout culturel important. »

Les procédures au palais de justice attirent quotidiennement des foules de partisans tant des accusatrices que de l’accusé. La scène à l’extérieur reflète la dualité de Montréal elle-même – passionnée, expressive et profondément investie dans les questions d’identité culturelle et de justice.

En marchant à travers la Place des Arts hier après-midi, où les scènes extérieures de Juste pour rire se dressent habituellement chaque juillet, les espaces vides semblaient faire écho à l’incertitude qui plane sur l’héritage du festival d’humour. Les restaurants voisins, qui débordaient autrefois de festivaliers, affichaient des affiches soutenant les survivantes d’inconduite sexuelle.

Le procès devrait se poursuivre pendant plusieurs semaines, avec les témoignages de nombreux témoins essentiels aux arguments tant de la poursuite que de la défense. Des experts juridiques de la faculté de droit de l’Université de Montréal suggèrent que l’affaire pourrait établir d’importants précédents pour des procédures similaires au Québec.

Pour de nombreux Montréalais, quel que soit le résultat du procès, l’affaire représente un moment charnière dans notre façon de voir les relations de pouvoir au sein de nos institutions culturelles. Les conversations qui se déroulent dans les cafés, les studios et les théâtres à travers la ville reflètent une communauté aux prises avec des questions difficiles sur la responsabilité et le changement.

Alors que Montréal navigue dans ce chapitre difficile, le festival d’humour lui-même continue sous une nouvelle direction, travaillant à rebâtir la confiance tout en honorant son importance culturelle. Les scènes estivales se dresseront probablement à nouveau, mais l’industrie qu’elles représentent a été fondamentalement transformée.

Quand la cour a levé la séance hier après-midi, j’ai observé les gens qui s’attardaient dehors en petits groupes, leurs conversations animées malgré la fraîcheur automnale. À ce moment, il était clair qu’au-delà des procédures judiciaires, Montréal vit une profonde conversation culturelle sur le pouvoir, l’art et la responsabilité – une conversation qui façonnera probablement notre paysage créatif pour les années à venir.

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