Alors que je pédale à travers le Parc Lafontaine par un frais matin d’automne, slalomant entre les feuilles d’érable tombées, je suis frappé par le peu de cyclistes portant un casque. Cette observation résonne particulièrement cette semaine alors que les législateurs québécois débattent à nouveau de l’obligation du port du casque pour tous les cyclistes.
L’Assemblée nationale revisite cette question controversée suite à une hausse préoccupante des accidents de vélo à Montréal. Selon les données de la Société de l’assurance automobile du Québec, les blessures à vélo ont augmenté de 27% dans la région métropolitaine de Montréal ces deux dernières années, les traumatismes crâniens représentant près de 60% des blessures graves.
« Les preuves en faveur du port du casque sont irréfutables, » explique Dr Isabelle Gagnon, spécialiste en neurologie à l’Hôpital Général de Montréal. « Dans ma pratique, j’ai vu d’innombrables traumatismes crâniens évitables qu’un simple casque aurait atténués. »
Actuellement, le Québec demeure l’une des rares provinces sans législation obligeant le port du casque pour les cyclistes, quel que soit leur âge. L’Ontario, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse l’exigent pour les moins de 18 ans, tandis que le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard l’imposent à tous.
Le projet de loi proposé obligerait tous les cyclistes, sans distinction d’âge, à porter des casques homologués sous peine d’amendes débutant à 80$. Ce projet crée des alignements politiques inhabituels, avec des partisans et opposants traversant les lignes partisanes.
La culture cycliste vibrante de Montréal est au cœur de ce débat. Notre ville se vante de plus de 876 kilomètres de pistes cyclables, et le programme BIXI a enregistré 7,3 millions de déplacements l’an dernier – un record. Plusieurs craignent que l’obligation du casque décourage le vélo occasionnel.
« Nous devons éviter de créer des obstacles au transport actif, » soutient Magali Bebronne, porte-parole de Vélo Québec. « Des villes avec des lois strictes comme Melbourne ont connu des baisses immédiates de participation cycliste. Notre priorité devrait être la construction d’infrastructures plus sécuritaires plutôt que la surveillance du comportement des cyclistes. »
Lors de ma récente visite au Réseau Express Vélo nouvellement étendu sur la rue St-Denis, j’ai discuté avec plusieurs cyclistes à propos de la loi proposée. Les opinions étaient nettement partagées.
« Je porte toujours mon casque, » partage Catherine Tremblay, qui fait la navette quotidienne depuis Rosemont. « Mais je ne pense pas que cela devrait être obligatoire. L’éducation fonctionne mieux que la punition. »
De son côté, François Lapierre, qui a subi une commotion cérébrale suite à un accident de vélo l’été dernier, soutient fermement la mesure. « Mon casque m’a sauvé la vie. Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un s’opposerait à les rendre obligatoires. »
Le débat dépasse le choix individuel et soulève des questions d’application. Jean Bouchard, porte-parole du SPVM, reconnaît les défis à venir. « Si la loi passe, notre approche se concentrerait d’abord sur l’éducation. Nous voulons encourager la conformité plutôt que simplement émettre des contraventions. »
Les responsables de la santé publique soulignent les succès des législations similaires ailleurs. Une étude approfondie de l’Université de Colombie-Britannique a constaté une réduction de 54% des traumatismes crâniens dans les provinces après l’implémentation de lois similaires. Cependant, les critiques notent que ces statistiques ne tiennent pas compte des améliorations parallèles des infrastructures cyclables.
L’Hôpital de Montréal pour enfants a pris position clairement en faveur du projet de loi. « Nous traitons beaucoup trop de traumatismes crâniens évitables, » note Dr Marie Lefebvre, chef du département d’urgence. « Quand on examine les données, les casques obligatoires sauvent des vies, particulièrement celles des enfants. »
Le conseil municipal reste divisé. La mairesse Valérie Plante a exprimé des réserves concernant la loi, suggérant qu’une approche plus nuancée pourrait être nécessaire. « Nous devons équilibrer les préoccupations de sécurité avec notre engagement à faire de Montréal la ville la plus accueillante pour les cyclistes en Amérique du Nord, » a-t-elle déclaré lors de la réunion du conseil la semaine dernière.
En garant mon vélo au Marché Jean-Talon, mon casque pendant à mon guidon, je réfléchis à mon propre usage inconstant. Comme beaucoup de Montréalais, je le porte pour les longs trajets mais l’oublie souvent pour les courts déplacements. La perspective d’une amende changerait certainement mon comportement, mais changerait-elle aussi la fréquence à laquelle je choisis de faire du vélo?
La commission parlementaire devrait voter sur le projet de loi le mois prochain. Quel que soit le résultat, la conversation a déjà incité de nombreux Montréalais à reconsidérer leurs habitudes cyclistes et leurs choix de sécurité personnelle.
Pour une ville qui s’enorgueillit de sa culture cycliste, la décision est lourde de conséquences. Au-delà des implications immédiates sur la sécurité, elle signalera quel type d’avenir cycliste nous envisageons – un avenir défini principalement par la protection ou par l’accessibilité. Le plus grand défi réside peut-être dans la recherche d’une solution qui offre véritablement les deux.