Alors que les audiences publiques du CRTC sur les définitions du contenu canadien entrent dans leur deuxième semaine, le débat sur l’inclusion d’éléments culturels dans le cadre réglementaire s’est intensifié, révélant des divisions profondes parmi les intervenants de l’industrie.
Les audiences, qui se déroulent au siège du CRTC à Gatineau, ont attiré des représentants de tous les secteurs créatifs du Canada, tous se prononçant sur la façon dont le « contenu canadien » devrait être défini en vertu de la Loi sur la diffusion en ligne (anciennement projet de loi C-11).
« Nous essayons essentiellement de déterminer ce qui rend un contenu véritablement canadien au-delà de son simple financement, » a déclaré la présidente du CRTC, Vicky Eatrides, lors des procédures d’hier. « La représentation culturelle est-elle une composante nécessaire du CanCon, ou devrions-nous nous concentrer principalement sur les facteurs économiques? »
La question des critères culturels s’est révélée particulièrement controversée. Les groupes industriels semblent divisés entre ceux qui préconisent une définition plus spécifique sur le plan culturel et ceux qui plaident pour plus de flexibilité afin de pouvoir rivaliser à l’échelle mondiale.
L’Association canadienne des producteurs médiatiques (ACPM) soutient fermement l’inclusion d’éléments culturels dans toute nouvelle définition. « Les histoires canadiennes racontées par des créateurs canadiens sont au cœur de ce que nous essayons de protéger, » a déclaré Reynolds Mastin, président et chef de la direction de l’ACPM. « Sans critères culturels, nous risquons de financer des contenus qui n’ont aucun lien avec les expériences ou les perspectives canadiennes. »
Les géants du streaming, dont Netflix et Amazon Prime Video, se sont opposés à des exigences culturelles rigides, suggérant qu’elles pourraient nuire à l’attrait international.
« Les talents canadiens méritent d’avoir la possibilité de raconter des histoires universelles qui résonnent à l’échelle mondiale, » a déclaré Stéphane Cardin, directeur des politiques publiques de Netflix Canada. « Imposer des éléments culturels spécifiques pourrait limiter la liberté créative et la commercialisation. »
Les producteurs indépendants se retrouvent pris entre deux feux. La cinéaste Marie Clements, basée à Ottawa, a témoigné que si la représentation culturelle est importante, des règles trop prescriptives pourraient être contre-productives.
« Mes histoires autochtones sont intrinsèquement canadiennes, mais je ne veux pas que des bureaucrates cochent des cases pour déterminer si mon travail est ‘suffisamment canadien’, » a déclaré Clements. « Le système doit reconnaître les diverses expressions de l’identité canadienne. »
Les audiences font suite à l’adoption par le Parlement de la Loi sur la diffusion en ligne l’année dernière, qui a soumis les services de streaming aux réglementations sur le contenu canadien auparavant appliquées uniquement aux diffuseurs traditionnels. Le CRTC doit maintenant déterminer comment ces règles fonctionneront en pratique.
Les exigences actuelles du CanCon utilisent principalement un système de points basé sur la nationalité du personnel créatif clé et le financement de la production. Le contenu culturel a été une considération secondaire jusqu’à présent.
La ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a signalé la position du gouvernement, déclarant dans une directive politique que « le contenu canadien devrait refléter la diversité du Canada et contribuer à notre compréhension commune en tant que Canadiens. »
La Guilde des écrivains du Canada a présenté des recherches montrant que les productions répondant aux exigences actuelles du CanCon manquent souvent de cadres ou de thèmes distinctement canadiens. Leur analyse des productions CanCon récemment certifiées a révélé que près de 60 % ne contenaient aucun élément canadien identifiable dans leurs intrigues.
« Nous finançons des productions canadiennes qui pourraient se dérouler n’importe où, mettant en vedette n’importe qui, » a déclaré Maureen Parker, directrice exécutive de la GEC. « Sans certains critères culturels, nous subventionnons du contenu générique qui ne contribue pas à notre souveraineté culturelle. »
Les préoccupations économiques demeurent importantes, particulièrement pour les grandes sociétés de production. Le cabinet d’avocats torontois Dentons a soutenu que « des exigences culturelles excessives pourraient pousser les productions vers d’autres juridictions offrant des incitatifs plus flexibles. »
Les audiences ont également mis en évidence le défi de définir la culture canadienne elle-même. Plusieurs organisations médiatiques autochtones ont témoigné que tout critère culturel doit respecter et inclure les perspectives des Premières Nations, des Inuits et des Métis plutôt que d’imposer une définition unique de ce qui est « canadien ».
« La notion même de ce qui constitue la ‘culture canadienne’ est complexe et en évolution, » a déclaré Jesse Wente, directeur exécutif du Bureau de l’écran autochtone. « Tout cadre doit créer un espace pour la multitude d’histoires qui composent ce pays. »
Le CRTC devrait annoncer sa nouvelle définition du contenu canadien d’ici le début de l’automne, avec une mise en œuvre qui suivra en 2026. La commission a indiqué qu’elle adoptera une approche équilibrée.
Ces débats reflètent inévitablement des questions plus profondes sur l’identité nationale à l’ère du streaming. Alors que les téléspectateurs canadiens consomment de plus en plus de contenu mondial, les enjeux pour maintenir une voix culturelle distincte n’ont jamais été aussi élevés – pourtant, les voies pour atteindre cet objectif n’ont jamais été aussi contestées.
Les audiences se poursuivent jusqu’à la semaine prochaine, avec des témoignages supplémentaires attendus des diffuseurs, des experts académiques et des agences culturelles provinciales.