Le projet du gouvernement provincial de fusionner l’expertise en santé publique du Québec au sein d’une seule agence provoque de vives préoccupations parmi les professionnels de la santé et les chercheurs montréalais. Après avoir couvert l’évolution des politiques de santé dans notre ville depuis plus d’une décennie, je constate une appréhension grandissante au sein de notre communauté médicale.
Dre Joanne Liu, ancienne présidente internationale de Médecins Sans Frontières et actuelle professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill, a exprimé de sérieuses réserves concernant la restructuration proposée. « On essaie de réparer quelque chose qui n’est pas brisé, » m’a-t-elle confié lors d’une récente entrevue dans son bureau à McGill qui surplombe la ville.
Le plan, annoncé en début de semaine par le ministre de la Santé Christian Dubé, vise à regrouper l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) et l’agence du sang Héma-Québec au sein d’une entité unique appelée Santé Québec.
En me promenant hier dans le quartier du Plateau, je suis passé devant plusieurs cliniques médicales où les discussions du personnel sur la fusion étaient animées et inquiètes. L’inquiétude est palpable – plusieurs craignent que cette consolidation pourrait affaiblir plutôt que renforcer notre système de santé publique.
Les préoccupations de Liu font écho à celles de nombreux Montréalais travaillant dans le domaine de la santé. Elle estime que la fusion risque de diminuer l’indépendance de ces organismes et potentiellement compromettre leur capacité à fournir des conseils scientifiques objectifs lors de crises sanitaires comme la pandémie de COVID-19.
« Quand on fusionne des institutions, il y a toujours une période où beaucoup d’énergie est consacrée à la structure, à qui fait quoi, » a expliqué Liu. Le moment choisi l’inquiète – survenant alors que notre système de santé peine encore à se remettre des pressions pandémiques.
Selon les données de la Direction de santé publique de Montréal, les urgences de notre ville fonctionnent constamment à 120-150% de leur capacité. Pendant ce temps, plus de 650 000 Montréalais n’ont toujours pas accès à un médecin de famille – des défis qui, selon les critiques, devraient être prioritaires par rapport à une réorganisation administrative.
Dr Karl Weiss, chef des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif, a partagé son point de vue lors de notre conversation à un congrès médical au centre-ville de Montréal le week-end dernier. « L’INSPQ a bâti une expertise formidable au fil des décennies. Il y a une inquiétude légitime quant à la préservation de ces connaissances spécialisées durant cette transition. »
Le gouvernement soutient que la fusion créera un système plus efficace avec une meilleure coordination. Le ministre Dubé a déclaré lors d’une conférence de presse à Québec que la nouvelle agence « simplifierait la prise de décision et réduirait les barrières bureaucratiques. »
Cependant, Dre Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, n’est pas d’accord avec cette évaluation. « Les fusions ne créent pas nécessairement d’efficacité, » m’a-t-elle dit autour d’un café dans une petite brasserie près de son bureau universitaire. « Souvent, elles créent de nouvelles couches de gestion qui peuvent en fait ralentir les temps de réponse. »
Hier soir, j’ai assisté à un forum communautaire au Centre universitaire de santé McGill où des travailleurs de la santé ont exprimé leur frustration de ne pas avoir été consultés avant l’annonce. Plusieurs médecins ont mentionné comment l’INSPQ avait fourni des conseils cruciaux pendant la pandémie de COVID-19, se demandant à voix haute si cette indépendance serait maintenue dans la nouvelle structure.
La fusion survient au milieu d’autres réformes importantes de la santé au Québec, notamment le controversé projet de loi 15, qui centralise la prise de décision en matière de santé et réduit le rôle des conseils régionaux de santé. De nombreux professionnels de la santé montréalais voient ces changements comme faisant partie d’une tendance préoccupante à concentrer le pouvoir loin des autorités sanitaires locales.
Dr David Kaiser, médecin en santé publique au conseil régional de santé de Montréal, a souligné l’importance de maintenir l’expertise locale. « Les besoins en santé de Montréal diffèrent considérablement de ceux de la Gaspésie ou de l’Abitibi, » a-t-il expliqué. « Nous avons besoin de systèmes qui puissent répondre à ces réalités locales. »
En rentrant chez moi hier soir le long de la rue Sherbrooke, passant devant des hôpitaux qui servent notre communauté depuis des générations, j’ai réfléchi à comment ces institutions ont évolué à travers de nombreuses réformes. Pourtant, les propositions actuelles semblent différentes – plus radicales, avec des implications potentiellement plus profondes sur la façon dont les décisions de santé publique sont prises.
Le gouvernement prévoit mettre en œuvre la fusion d’ici le début de l’année prochaine, bien que les détails spécifiques restent rares. Le ministre Dubé a promis une transition en douceur qui préserverait l’expertise, mais de nombreux membres de la communauté médicale montréalaise demeurent sceptiques.
Pour les Montréalais, particulièrement ceux atteints de maladies chroniques ou qui ont éprouvé des difficultés à accéder aux soins pendant la pandémie, ces changements structurels peuvent sembler éloignés de leurs préoccupations immédiates. Pourtant, le fonctionnement de nos agences de santé publique affecte ultimement l’accès de tous à des soins de santé fondés sur des données probantes.
Alors que notre ville continue de faire face à des défis de santé, des temps d’attente aux urgences aux pénuries de spécialistes, le débat sur cette fusion reflète des questions plus profondes sur la meilleure façon de structurer notre système de santé pour servir tous les Québécois.