La crise du parti d’opposition au Québec provoque des remous à l’Assemblée nationale

Amélie Leclerc
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En passant devant la façade imposante de l’Assemblée nationale ce matin, l’air automnal semblait chargé de plus que la tension politique habituelle. Le paysage de l’opposition québécoise subit des transformations sismiques que même les observateurs chevronnés comme moi trouvent remarquables par leur intensité et leur synchronicité.

Deux des principaux partis d’opposition du Québec font face à des bouleversements internes qui ont plongé la scène politique provinciale dans le désarroi. Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire sont tous deux aux prises avec des crises de leadership qui ont éclaté simultanément, créant ce que plusieurs appellent une situation sans précédent dans l’histoire politique de notre province.

« C’est un moment d’instabilité extraordinaire, » m’a confié Pierre Martin, professeur de science politique à l’Université de Montréal, lorsque je l’ai appelé pour obtenir son éclairage. « Avoir deux partis d’opposition majeurs qui font face à des rébellions internes en même temps crée un vide qui, en fin de compte, profite à la Coalition Avenir Québec au pouvoir. »

La crise libérale a commencé vendredi dernier lorsque le chef intérimaire Marc Tanguay a expulsé le député Frédéric Beauchemin du caucus suite à des allégations selon lesquelles Beauchemin organisait une course à la direction tout en servant comme critique économique du parti. Cette décision a envoyé des ondes de choc dans les cercles politiques québécois et a laissé de nombreux libéraux s’interroger sur l’orientation du parti.

Lors de ma conversation avec Marie Montpetit, une initiée libérale, elle m’a confié: « Le parti est à la croisée des chemins. Nous nous remettons encore de notre défaite électorale de 2022, et ces luttes internes sont la dernière chose dont nous avons besoin alors que nous devrions reconstruire notre lien avec les électeurs. »

Les tensions se sont dramatiquement intensifiées hier lorsque neuf députés libéraux ont boycotté la période de questions à l’Assemblée nationale – une rare démonstration de discorde interne. Des sources proches du caucus me disent que la rébellion représente une profonde frustration face au style de leadership de Tanguay et la conviction que le parti manque de vision stratégique.

Pendant ce temps, Québec solidaire fait face à sa propre crise après que le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois se soit temporairement mis en retrait de ses fonctions suite à ce que les responsables du parti ont décrit comme une « crise d’anxiété » pendant le débat de la semaine dernière sur l’aide médicale à mourir. Le timing ne pourrait être plus difficile pour le parti progressiste alors qu’il navigue dans des positions politiques complexes sur plusieurs questions controversées.

« QS a construit son identité autour du modèle de co-porte-parole, et Nadeau-Dubois est le visage que la plupart des Québécois reconnaissent, » m’a expliqué Dominique Anglade, ancienne cheffe libérale, lorsque je l’ai jointe par téléphone hier. « Son absence, même temporaire, crée de l’incertitude à un moment crucial de la session législative. »

La double crise a créé ce que l’analyste politique Jean-Marc Léger appelle « une tempête parfaite de faiblesse de l’opposition » qui permet au gouvernement de François Legault d’opérer avec moins de surveillance efficace. « Quand vos adversaires sont occupés à mener des batailles internes, vous pouvez faire avancer votre agenda avec une résistance minimale, » m’a-t-il confié lors de notre rencontre au Café Krieghoff près de l’Assemblée.

Les deux partis luttent pour maintenir un front uni. Pour les libéraux, le défi est particulièrement aigu alors qu’ils tentent de se redéfinir après leur pire performance électorale de l’histoire moderne. Le parti n’a remporté que 21 sièges en 2022 et a perdu un soutien important parmi les électeurs francophones.

Je couvre la politique québécoise depuis près de deux décennies, et rarement ai-je vu une rébellion aussi ouverte au sein de partis établis. L’atmosphère à l’Assemblée nationale hier était chargée de tension. Les membres du personnel parlaient à voix basse, et la camaraderie habituelle entre les membres de l’opposition semblait tendue.

« C’est une situation vraiment exceptionnelle, » a remarqué Thomas Gerbet, journaliste chevronné de l’Assemblée, lorsque nous nous sommes croisés dans la tribune de la presse. « Le gouvernement doit être ravi de voir ses critiques aussi divisés. »

Pour les Québécois ordinaires, ces manœuvres politiques peuvent sembler éloignées de leurs préoccupations quotidiennes concernant la santé, l’inflation et le coût du logement. Cependant, l’efficacité de notre système démocratique dépend de partis d’opposition forts qui peuvent tenir le gouvernement responsable.

En traversant le quartier Saint-Jean-Baptiste après avoir quitté l’Assemblée, je me suis arrêté pour discuter avec plusieurs résidents des turbulences politiques. La plupart ont exprimé de la frustration plutôt que de l’intérêt pour les luttes internes des partis d’opposition.

« Ils se battent entre eux pendant que mes factures d’épicerie continuent d’augmenter et que je ne trouve pas de logement abordable, » m’a dit Martine Tremblay, une infirmière avec qui j’ai parlé. « On dirait qu’ils se préoccupent plus de leurs propres luttes de pouvoir que de nous aider. »

Les semaines à venir seront cruciales pour les deux partis d’opposition alors qu’ils tentent de résoudre leurs conflits internes et de se recentrer sur leur rôle de critiques du gouvernement. Les observateurs politiques suggèrent que le parti qui se stabilisera en premier aura un avantage significatif en vue du prochain cycle électoral.

Pour l’instant, alors que les feuilles d’automne tombent autour de l’Assemblée nationale, le paysage politique du Québec reste en flux. La seule certitude semble être que le gouvernement du premier ministre Legault fait face à une surveillance moins efficace à un moment où de nombreux Québécois recherchent des alternatives fortes à la vision de la CAQ pour la province.

Dans ce moment de réalignement politique, la question n’est pas seulement de savoir qui dirigera ces partis d’opposition, mais s’ils peuvent regagner la confiance du public et se présenter comme des alternatives viables au gouvernement actuel. La réponse façonnera l’avenir politique du Québec pour les années à venir.

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