Poursuite des médecins de famille du Québec contre les mesures de réforme salariale

Amélie Leclerc
7 Min Read

Je suis la tension croissante entre les médecins de famille du Québec et le gouvernement provincial depuis l’été dernier, et cette semaine, la situation a finalement atteint un point de rupture. Dans un geste audacieux qui domine les conversations dans toute la communauté médicale montréalaise, la fédération des médecins de famille du Québec a lancé une contestation juridique contre la loi controversée de réforme salariale du gouvernement Legault.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a déposé la poursuite mercredi à la Cour supérieure, soutenant que le projet de loi 11 viole les droits fondamentaux des médecins et menace la qualité des soins aux patients dans notre province.

« Il ne s’agit pas seulement de compensation », m’a confié Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ, lors d’un entretien téléphonique hier. « Il s’agit de respecter l’autonomie professionnelle des médecins et de garantir aux Québécois un accès continu à des soins de qualité. »

En cause, la réforme adoptée en juin dernier qui modifie fondamentalement la rémunération des médecins de famille, introduisant des indicateurs de performance que de nombreux médecins jugent problématiques. Le gouvernement insiste sur le fait que ces changements amélioreront l’accès aux soins primaires – un défi de taille pour nous, Montréalais.

En parcourant hier le quartier médical de Côte-des-Neiges, j’ai discuté avec plusieurs médecins qui ont exprimé de profondes inquiétudes. Dre Sophie Tremblay, qui pratique la médecine familiale depuis 17 ans, n’a pas mâché ses mots.

« Ces indicateurs ne tiennent pas compte de la complexité des patients que nous voyons quotidiennement », a-t-elle expliqué en se précipitant entre deux rendez-vous. « Une consultation de 15 minutes avec un patient gérant plusieurs maladies chroniques n’est simplement pas comparable à une consultation rapide pour un mal de gorge. »

La contestation juridique cible spécifiquement le controversé « taux d’inscription » – une mesure du nombre de patients qu’un médecin inscrit formellement à sa charge. Le gouvernement souhaite augmenter ce taux, particulièrement dans les régions mal desservies, mais les médecins soutiennent que cet indicateur simplifié dénature la réalité de leur pratique.

Selon les données du Collège des médecins du Québec, les médecins de famille à Montréal voient environ 30 % plus de patients avec des conditions complexes que la moyenne provinciale. Ces cas nécessitent souvent des rendez-vous plus longs et un suivi plus rigoureux.

La porte-parole du ministère de la Santé, Patricia Daly, a défendu les réformes dans un communiqué, soulignant que « plus de 945 000 Québécois sont toujours sans médecin de famille » et insistant sur le fait que ces mesures sont nécessaires pour remédier à cette pénurie critique.

Ce qui rend ce conflit particulièrement préoccupant pour les Montréalais ordinaires, c’est l’impact potentiel sur des services médicaux déjà sous pression. La semaine dernière, j’ai visité plusieurs cliniques sans rendez-vous à Ville-Marie et NDG, constatant des temps d’attente moyens de 3 à 4 heures – une situation qui risque de ne pas s’améliorer au milieu de ce différend.

La poursuite conteste également la constitutionnalité des dispositions permettant au gouvernement de retenir jusqu’à 30 % de la rémunération des médecins s’ils n’atteignent pas certains objectifs de performance. Les experts juridiques que j’ai consultés suggèrent que cela pourrait effectivement porter atteinte aux droits de négociation collective protégés par la Charte.

« Le gouvernement tente essentiellement de modifier unilatéralement des ententes négociées », a expliqué Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill. « Cela soulève de sérieuses questions juridiques sur l’abus de pouvoir gouvernemental. »

Plus inquiétants encore sont les témoignages que j’entends de jeunes médecins. Lors d’une récente rencontre sociale de résidents en médecine dans un café de la rue Saint-Denis, plusieurs médecins sur le point d’obtenir leur diplôme ont admis envisager de quitter complètement le Québec.

« Pourquoi commencerais-je ma pratique dans une province où le gouvernement semble considérer les médecins comme le problème plutôt que comme des partenaires ? » m’a confié un résident, demandant l’anonymat par crainte de répercussions professionnelles.

Le moment ne pourrait être plus délicat. Avec l’hiver qui approche – période où nos urgences font face à leur plus forte demande – cette bataille juridique menace d’aggraver les tensions dans notre système de santé.

Pour les Montréalais comme Monique Lafleur, une retraitée de 67 ans que j’ai rencontrée devant le CLSC Métro, la situation semble particulièrement précaire. « Je suis sur la liste d’attente pour un médecin de famille depuis trois ans », a-t-elle déclaré. « Je me fiche de la politique – j’ai juste besoin de quelqu’un pour m’aider à gérer mon diabète. »

La Cour supérieure du Québec devrait entendre les arguments préliminaires le mois prochain, bien que les experts juridiques suggèrent que l’affaire pourrait prendre des années à résoudre. Entre-temps, les deux parties ont indiqué qu’elles restent ouvertes aux négociations, offrant une lueur d’espoir pour un compromis.

En réfléchissant à cette histoire en développement, je ne peux m’empêcher de penser à comment ce différend illustre parfaitement les défis persistants du système de santé québécois – équilibrer la responsabilité fiscale avec des soins de qualité, les besoins urbains avec l’accès rural, et la surveillance gouvernementale avec l’autonomie professionnelle.

Quel que soit le résultat, une chose est claire : les Montréalais surveilleront de près la situation, espérant qu’au-delà des arguments juridiques et des postures politiques, quelqu’un garde à cœur l’intérêt supérieur des patients.

Partager cet article
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *