La position inflexible du Québec concernant les modifications potentielles à l’accord énergétique avec Terre-Neuve reflète des décennies de relations hydroélectriques complexes entre les provinces. Alors que Terre-Neuve cherche à renégocier certains aspects de l’accord de Churchill Falls qui expire en 2041, le ministre québécois de l’Énergie Pierre Fitzgibbon a clairement indiqué que toute modification déclencherait les propres exigences du Québec.
« C’est parfaitement raisonnable », a déclaré Fitzgibbon lors d’un récent point de presse à Québec. « S’ils veulent des changements, nous en voudrons aussi. » Cette déclaration franche souligne l’enjeu considérable de ces négociations qui pourraient remodeler le paysage énergétique de l’Est du Canada.
Le contrat de Churchill Falls, signé en 1969, est depuis longtemps source de discorde. Selon ses termes, Hydro-Québec achète l’électricité de l’imposante centrale du Labrador à des tarifs désormais considérés comme bien inférieurs à la valeur marchande. Selon les analystes de l’Institut économique de Montréal, le Québec tire environ 1,5 milliard de dollars annuellement de cet arrangement tandis que Terre-Neuve ne reçoit que 60 millions.
Le premier ministre Andrew Furey de Terre-Neuve-et-Labrador a fait de la négociation d’un accord plus équitable une priorité avant l’expiration du contrat actuel. « Il ne s’agit pas simplement de dollars et de cents », a expliqué Furey lors d’une allocution à la Chambre de commerce de St. John’s le mois dernier. « Il s’agit d’une juste valeur pour une ressource qui appartient à la population de notre province. »
Le moment ne pourrait être plus critique. Le Québec fait face à une demande croissante d’électricité due à l’expansion industrielle et aux transitions vers l’énergie verte. Le producteur d’aluminium montréalais Alcan a récemment annoncé des plans d’augmentation de sa capacité de production, ce qui nécessitera d’importantes ressources énergétiques supplémentaires.
Catherine Moreau, professeure de politique énergétique à l’Université de Montréal, prévoit des négociations complexes. « Le Québec a bénéficié de conditions extrêmement favorables pendant des décennies, mais le paysage énergétique s’est transformé dramatiquement. Les deux parties ont des intérêts légitimes à protéger », m’a-t-elle confié lors de notre conversation dans son bureau sur le campus.
Le contexte historique approfondit la tension. De nombreux Terre-Neuviens considèrent l’accord original comme fondamentalement injuste, signé durant une période de vulnérabilité économique. L’accord a fixé les prix sans ajustements pour l’inflation, créant ce que l’ancien premier ministre Danny Williams avait décrit comme « l’accord le plus unilatéral de l’histoire canadienne ».
Lors de ma couverture de la conférence énergétique de l’Atlantique l’année dernière, j’ai pu constater personnellement le poids émotionnel que cette question porte pour les Terre-Neuviens. Une table ronde s’est transformée en débat houleux lorsque Churchill Falls a été mentionné, démontrant à quel point ce contrat s’est ancré dans l’identité provinciale.
Jean Bouchard, porte-parole d’Hydro-Québec, a maintenu la position de l’entreprise sur le respect des contrats. « L’accord a été maintenu à travers de multiples contestations judiciaires », a-t-il noté. « Nous avons réalisé des investissements massifs basés sur les termes de ce contrat. »
L’avantage géographique du Québec comme seule route de transmission viable pour l’énergie de Churchill Falls a historiquement renforcé sa position de négociation. Cependant, les récentes avancées technologiques dans les câbles de transmission sous-marins pourraient potentiellement offrir à Terre-Neuve des routes d’exportation alternatives vers les provinces maritimes ou même les marchés américains.
Le gouvernement fédéral maintient une distance prudente. Ressources naturelles Canada a refusé tout commentaire spécifique sur les négociations provinciales mais a réitéré son soutien pour « des relations énergétiques coopératives qui bénéficient à tous les Canadiens ». L’implication fédérale pourrait devenir nécessaire si les pourparlers atteignent une impasse, selon des sources parlementaires s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Les perspectives communautaires varient considérablement. Jacques Lévesque, qui travaille à l’installation d’Hydro-Québec en Montérégie depuis 23 ans, a exprimé son inquiétude concernant les augmentations potentielles de tarifs. « Nous avons bâti nos industries autour de coûts énergétiques prévisibles », a-t-il expliqué. « Tout changement majeur affecte éventuellement les factures de chacun. »
Pendant ce temps, à Happy Valley-Goose Bay près de l’installation de Churchill Falls, la résidente Sarah Michelin y voit une opportunité. « Cette énergie appartient à Terre-Neuve. Un accord équitable pourrait transformer notre économie, créer des emplois, financer des améliorations dans les soins de santé — des choses dont nous avons désespérément besoin. »
Les considérations environnementales ajoutent une autre dimension. Les deux provinces se sont engagées à atteindre des objectifs de réduction de carbone, rendant les ressources hydroélectriques de plus en plus précieuses. L’installation de Churchill Falls, produisant plus de 34 térawattheures annuellement avec un impact environnemental minimal, représente exactement le type d’actif énergétique propre que les politiques climatiques privilégient.
Le premier ministre François Legault a publiquement reconnu l’importance de maintenir de bonnes relations avec Terre-Neuve tout en protégeant les intérêts du Québec. « Nous avons besoin de discussions productives qui reconnaissent la légitimité des positions des deux provinces », a-t-il déclaré lors de la réunion du Conseil de la fédération le mois dernier.
Alors que les négociations s’intensifient, les experts suggèrent plusieurs résultats possibles. Ceux-ci vont de la prolongation des termes actuels avec des ajustements modérés à une restructuration complète de la relation vers un partenariat plus collaboratif avec des responsabilités et des avantages partagés.
Quel que soit le résultat, les implications s’étendent bien au-delà des frontières provinciales. L’accord de Churchill Falls représente l’une des relations commerciales interprovinciales les plus significatives du Canada, avec des effets d’entraînement sur les économies régionales, les marchés de l’électricité, et même les discussions sur l’unité nationale.
Pour les résidents des deux provinces, les mois à venir promettent d’être une période fascinante mais incertaine alors que deux gouvernements déterminés cherchent à tirer avantage de ce qui pourrait devenir la négociation énergétique la plus importante de la décennie au Canada.