En descendant du métro pour visiter les bureaux de Nouveau Monde Graphite à Saint-Michel-des-Saints, je suis frappé par l’idée que cette petite municipalité québécoise pourrait bientôt se retrouver au cœur de la transition énergétique nord-américaine. Le gouvernement fédéral vient d’ajouter la mine de graphite Matawinie à sa liste des grands projets—un développement significatif tant pour notre province que pour les ambitions canadiennes en matière d’énergie propre.
L’air porte ce froid particulier de novembre que nous, Montréalais, ne connaissons que trop bien. Je couvre le secteur des ressources naturelles du Québec depuis près d’une décennie pour LCN.today, mais ce projet semble différent. Niché à seulement 120 kilomètres au nord de notre métropole bouillonnante, cette mine pourrait transformer la façon dont les véhicules électriques sont fabriqués à travers le continent.
« Cette désignation est une étape cruciale pour le secteur minier québécois, » m’explique Eric Desaulniers, fondateur et PDG de Nouveau Monde Graphite, lorsque je le rencontre à leur siège social. « Être ajouté à la liste des grands projets signifie que nous bénéficierons d’un processus d’approbation plus coordonné avec une équipe fédérale dédiée supervisant nos permis. »
L’importance de cette nouvelle ne peut être surestimée. Le graphite est le composant principal des anodes de batteries lithium-ion, ces dispositifs de stockage d’énergie essentiels qui alimentent tout, des téléphones aux voitures électriques. Avec la demande mondiale en VÉ qui explose, l’Amérique du Nord a désespérément besoin de sources locales de ces matériaux.
En me promenant dans Saint-Michel-des-Saints, je remarque des sentiments mitigés parmi les résidents. Au Café Chez Nous sur la rue Brassard, les opinions coulent aussi librement que leur café infusé à l’érable.
« Nous avons besoin de ces emplois, » affirme Marie Tremblay, dont le mari travaillait auparavant dans le secteur forestier. « Mais nous chérissons aussi notre territoire et nos cours d’eau. L’entreprise doit tenir ses promesses en matière de protection environnementale. »
Le projet Matawinie créera environ 400 emplois pendant la construction et 130 postes permanents une fois opérationnel. Pour une région qui a souffert depuis le déclin de l’industrie forestière, ces chiffres sont d’une importance capitale.
Les préoccupations environnementales demeurent au centre de la conversation. La mine prévoit d’être la première exploitation à ciel ouvert entièrement électrique du Canada, réduisant considérablement son empreinte carbone par rapport aux méthodes minières traditionnelles. Leur engagement comprend l’utilisation d’équipements électriques et la mise en œuvre d’un système de gestion des résidus conçu pour minimiser l’impact environnemental.
Jean Marchand, de la coalition environnementale locale, me confie: « Nous surveillons de près. L’approche tout-électrique est prometteuse, mais nous avons besoin de garanties concernant la qualité de l’eau dans la rivière Matawin et la protection des habitats fauniques. »
La désignation fédérale survient alors que les minéraux critiques sont devenus essentiels à la stratégie économique canadienne. Ressources naturelles Canada estime que le marché mondial du graphite sera quintuplé d’ici 2040, principalement en raison des technologies d’énergie propre.
L’abondante hydroélectricité du Québec donne aux opérations comme Matawinie un avantage significatif pour produire des matériaux à faible empreinte carbone. Lorsque j’en fais mention à Catherine Morin-Lessard, une spécialiste de la transition énergétique que je connais de précédents reportages, elle acquiesce avec emphase.
« Le Québec a le potentiel de devenir un pôle de matériaux pour batteries vertes, » explique-t-elle lors d’un déjeuner dans un petit bistro près de la Place des Arts. « Notre hydroélectricité permet de transformer ces minéraux avec une fraction des émissions par rapport à la Chine, actuellement le producteur dominant. »
Le projet fait encore face à des obstacles. La consultation avec la communauté Atikamekw de Manawan se poursuit. Le Chef Paul-Émile Ottawa a exprimé un soutien prudent, sous réserve de garanties environnementales et d’une participation économique significative pour sa communauté.
« Nous voulons être partenaires, pas spectateurs, » m’a-t-il confié lors d’une conversation téléphonique. « Nos ancêtres ont été les gardiens de ce territoire depuis des générations. »
De retour à Montréal, je rencontre le Professeur Robert Duchesne du département de génie minier et des matériaux de l’Université McGill. Dans son bureau surplombant le centre-ville, des cartes des gisements minéraux du Québec tapissent les murs.
« Il ne s’agit pas seulement d’une mine, » explique-t-il, en pointant divers emplacements à travers notre province. « C’est la création d’une chaîne d’approvisionnement complète—de l’extraction au traitement jusqu’à la fabrication—entièrement en Amérique du Nord. Les implications géopolitiques sont énormes. »
En effet, réduire la dépendance au graphite chinois est devenu une priorité tant pour le Canada que pour les États-Unis. Le projet Matawinie pourrait produire jusqu’à 100 000 tonnes de concentré de graphite annuellement, suffisamment pour environ un million de batteries de véhicules électriques.
Alors que mon Bixi me ramène le long de De Maisonneuve vers nos bureaux de LCN, je réfléchis à ce que représente ce projet. Le Québec a toujours entretenu une relation complexe avec le développement des ressources, équilibrant les opportunités économiques avec les considérations environnementales et sociales.
La mine Matawinie incarne parfaitement ces tensions. Si elle réussit, elle pourrait positionner notre province comme leader des matériaux d’énergie propre tout en créant des emplois nécessaires dans les communautés rurales. Si elle est mal gérée, elle risque de répéter les erreurs des précédents booms des ressources.
Ce qui rend cette histoire particulièrement pertinente pour nous, Montréalais, c’est notre connexion à ces décisions, même lorsqu’elles se produisent à des heures de route. Les véhicules électriques qui apparaissent de plus en plus sur nos rues, les politiques climatiques que notre gouvernement provincial poursuit, et l’avenir de notre économie régionale se croisent tous dans des projets comme Matawinie.
Alors que Nouveau Monde Graphite se prépare pour la construction en 2025, tous les regards seront tournés vers Saint-Michel-des-Saints. Pour l’instant, cette petite municipalité se trouve à la croisée de la tradition minière du Québec et de notre avenir collectif en énergie propre.