Le paysage devant les écoles d’Edmonton ce matin racontait une histoire qui ne s’était pas écrite ici depuis des décennies. Les autobus scolaires jaunes restaient vides tandis que des milliers d’enseignants, emmitouflés contre la fraîcheur printanière, marchaient sur les piquets de grève, brandissant des pancartes exprimant leur frustration concernant la taille des classes et les salaires stagnants.
« J’enseigne à Edmonton depuis douze ans, et je n’aurais jamais pensé qu’on en arriverait là, » confie Marielle Dubois, enseignante de 5e année à l’école primaire Holyrood, son souffle visible dans l’air frais du matin. « Mais parfois, il faut défendre ce qui est juste—pas seulement pour nous, mais pour nos élèves. »
Aujourd’hui marque un moment historique dans l’éducation albertaine alors qu’environ 51 000 enseignants à travers la province ont débrayé dans ce qu’on appelle la plus grande grève d’enseignants de l’histoire provinciale. Les écoles d’Edmonton et d’ailleurs sont restées étrangement silencieuses, tandis que les parents se démenaient pour trouver des solutions de garde alternatives pour leurs enfants.
L’Association des enseignants de l’Alberta (ATA) et le gouvernement provincial sont dans l’impasse après des mois de négociations qui n’ont pas abouti à un accord satisfaisant pour les deux parties. Au cœur du conflit: les ressources en classe, la rémunération des enseignants, et ce que beaucoup d’éducateurs décrivent comme des conditions de travail de plus en plus ingérables.
« Nous voyons des classes avec 35 élèves ou plus, dont beaucoup ont des besoins complexes nécessitant une attention spécialisée, » explique Jason Schilling, président de l’ATA, lors d’un rassemblement devant l’Assemblée législative de l’Alberta. « Les enseignants s’épuisent à essayer de répondre à ces besoins avec des ressources qui diminuent chaque année. »
Pour Samantha Wrigley, parent d’Edmonton, la grève suscite des sentiments mitigés. « C’est vraiment difficile d’organiser la garde des enfants à si court préavis, » admet-elle en déposant sa fille à un camp de jour organisé à la hâte à la ligue communautaire locale. « Mais je vois aussi les enseignants de mes enfants aux prises avec des charges de travail énormes. Quelque chose doit changer. »
Les entreprises locales ont réagi rapidement à la situation. La Bibliothèque publique d’Edmonton a annoncé des programmes prolongés pour enfants dans toutes ses succursales pendant les heures de classe, tandis que plusieurs centres communautaires ont ouvert des camps de jour d’urgence. Les YMCA de la ville ont élargi leur capacité pour accueillir les enfants d’âge scolaire ayant besoin de supervision.
« Nous faisons tout notre possible pour soutenir les familles prises dans cette situation difficile, » affirme Raj Sharma, directeur du Centre récréatif Meadows, où le personnel a transformé l’espace du gymnase en zones d’activités pour les enfants. « Notre téléphone n’a pas cessé de sonner depuis l’annonce de la grève. »
La ministre de l’Éducation Adriana LaGrange a qualifié la grève de « décevante » et « perturbante pour l’apprentissage des élèves, » soutenant que l’offre du gouvernement aux enseignants était équitable compte tenu des réalités économiques actuelles. La province affirme avoir augmenté le financement de l’éducation, bien que les enseignants rétorquent que le financement par élève a effectivement diminué en tenant compte de l’inflation et de l’augmentation des inscriptions.
Sur la ligne de piquetage devant l’école secondaire Strathcona, Derek Chen, professeur de physique, souligne les implications plus larges. « Il ne s’agit pas seulement d’argent. C’est l’avenir de l’éducation en Alberta qui est en jeu. Nous voyons des enseignants expérimentés quitter la profession parce que les exigences sont devenues insoutenables. »
En effet, les données de l’ATA indiquent que près de 40% des nouveaux enseignants quittent la profession dans leurs cinq premières années, citant la charge de travail et le manque de soutien comme facteurs principaux.
Pour l’économie d’Edmonton, la grève crée des effets d’entraînement au-delà de l’éducation. Les parents qui prennent congé pour s’occuper de leurs enfants affectent les entreprises locales, tandis que d’autres signalent des dépenses accrues pour des alternatives de garde d’enfants. Certains cafés locaux près des écoles ont proposé des offres spéciales aux enseignants sur les piquets de grève, leur apportant du café chaud en signe de solidarité.
Au Mill Creek Café, la propriétaire Elena Vladescu livre gratuitement du café aux enseignants en grève dans trois écoles voisines. « Ce sont nos voisins, nos clients, les personnes qui enseignent à nos enfants, » dit-elle. « Edmonton est une communauté qui se soutient dans les moments difficiles. »
La durée de la grève reste incertaine. Les deux parties se disent prêtes à reprendre les négociations, bien qu’aucune ne semble prête à modifier significativement sa position. Entre-temps, les familles d’Edmonton s’adaptent au jour le jour.
Pour les élèves du secondaire comme Aiden Marsh, étudiant de terminale à McNally, le moment crée de l’anxiété concernant les examens de fin d’année et les préparatifs universitaires. « Je m’inquiète de manquer des cours juste avant les examens finaux, » dit-il en visitant la bibliothèque publique pour étudier de façon autonome. « Mais je comprends aussi pourquoi mes professeurs estiment qu’ils doivent faire cela. »
Les organismes communautaires se mobilisent pour aider. Le Conseil scolaire public d’Edmonton a maintenu l’accès aux ressources d’apprentissage en ligne, tandis que des étudiants universitaires en éducation ont organisé des séances de tutorat bénévoles à divers endroits de la communauté.
Alors que le soleil se couche sur le premier jour de cette grève historique, les rues d’Edmonton se remplissent d’enseignants qui rentrent chez eux après avoir fait du piquetage plutôt que d’enseigner. La question que tout le monde se pose: combien de temps avant que le rythme familier des cloches d’école et des discussions en classe ne revienne à la normale?
Pour l’instant, notre ville attend, s’adapte et espère une résolution qui renforce plutôt que divise notre communauté éducative.
 
					 
			 
                                
                              
		 
		 
		